2 mars 2011

Fossoyeurs du français

Fossoyeurs du français





Pierre Allard
Le Droit

On s'attend du gouvernement du Québec qu'il soit le défenseur du français, pas son fossoyeur. Alors que la langue française - déjà moribonde dans plusieurs coins du pays, assiégée dans les régions limitrophes du Québec, y compris l'Est ontarien et l'Acadie, menacée à l'intérieur même du Québec, notamment à Montréal et en Outaouais - aurait désespérément besoin du plus vigoureux des soutiens, voilà que l'équipe de Jean Charest promet de transformer les écoles françaises en écoles bilingues en 6e année !

C'est à croire que les dirigeants actuels du Québec ignorent tout de l'histoire du Canada et de l'expérience vécue par les francophones dans les provinces à majorité anglophones. Il a été démontré, hors de tout doute, que les écoles bilingues y étaient des instruments d'anglicisation. On les a remplacées depuis plus de 40 ans par des réseaux d'écoles de langue française et une mesure comme celle que propose actuellement le gouvernement québécois pour la 6e année soulèverait en Ontario français un tollé de protestations.

Bien sûr, l'apprentissage d'un anglais de qualité est souhaitable pour ceux qui le veulent et qui en ont besoin. Le contexte nord-américain l'impose. Mais il est faux de prétendre, dans une société qui se proclame française, que tous les jeunes Québécois doivent devenir bilingues. Pas au Saguenay. Pas en Beauce. Même pas à Montréal. Ni à Gatineau, où pas moins de 75 000 personnes sont unilingues françaises.

Le bilinguisme individuel reste et restera toujours un enrichissement. Le bilinguisme collectif, par contre, est synonyme d'assimilation. Là encore, l'expérience des minorités canadiennes-françaises est probante. Quand une génération entière de Québécois sera bilingue, les suivantes parleront de moins en moins le français. Déjà, le français parlé et écrit au Québec se détériore. Écoutez les jeunes. Le vocabulaire est appauvri et les conversations sont émaillées de mots et d'expressions anglais. Et l'on propose de retirer aux enfants de 6e année près de la moitié d'une année d'enseignement en français !

Le gouvernement lance un message insidieux en donnant à l'anglais un statut égal au français à la dernière année du primaire. Au lieu de faire la promotion d'un français de qualité qui impose le respect, sans pour autant négliger l'anglais et d'autres langues, il semble avoir baissé les bras. La langue de chez nous décline, s'incline, et sans l'avouer, Québec en prend acte. C'est décourageant de la part du seul gouvernement d'une majorité de langue française en Amérique du Nord.

Il faut souhaiter qu'on donne la réplique, et vite. Les réactions ont été trop tièdes, même du côté du Parti québécois. Le monde scolaire doit se faire entendre. Tous ces enseignants qui côtoient nos jeunes à tous les jours doivent donner l'heure juste au gouvernement. Les députés libéraux de la région doivent être appelés à justifier ce début de bilinguisation des écoles françaises. La population doit s'informer et s'impliquer. Cette question intéresse d'ailleurs tous les francophones du pays, et il faut souhaiter que les organisations canadiennes-françaises hors Québec mettent leur grain de poivre dans ce débat.

L'avenir du français alimente les discussions depuis des centaines d'années. Cela va au coeur de notre identité comme peuple, comme nation. Au fil de l'histoire, certains moments de crise ont eu des échos dans l'ensemble de la francophonie canadienne : abolition des écoles françaises au Manitoba, Règlement 17 en Ontario, la défense de l'hôpital Montfort, et que dire de la succession de lois linguistiques au Québec (Bill 63, Loi 22, Loi 101). Le débat qui débute sur les classes bilingues au Québec pourrait à son tour devenir un jalon important de notre gestation identitaire.

Pour le moment, l'important, c'est de faire savoir au gouvernement québécois que son projet est mal avisé et qu'il doit le retirer. Vivement, une levée de boucliers !

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